LE TRAVAIL , VOIE ROYALE D’ACCES A DIEU.
Leur triple mission de formation, d’organisation et de soutien à la famille du fondateur du mouridisme occupent toute leur vie. Pour lui, le travail est la voie royale d’accès à Dieu. Il n’empêche, le Baye-Fall est en permanence plongé dans ses captivantes séances d Zikroullah ou louange à Dieu ; sa façon à lui de vénérer le Tout Puissant.
La famille Baye-Fall repose sur le droit d’aînesse et la pratique de la polygamie illimitée, particularité des plus fustigées par les défenseurs inconditionnels de la charia. Le Baye-Fall toutefois, comme dans toutes les principes qui régissent sa vie n’en a cure et ne se fie qu’à Serigne Touba, l’érudit des érudits, le connaisseur des connaisseurs et le Maître du talibé mouride sur terre comme dans l’autre monde, et qui a défini et autorisé les pratiques de sa vie.
Le Baye-Fall, dans l’imagerie populaire de ceux qui vivent très loin les réalités de cet adepte de Cheikh Ibra Fall, est très souvent perçu à travers de multiples déformations.
Loin d’être seulement un personnage grossier habillé de haillons multicolores, la chevelure débroussaillée ou très longue, la démarche agressive, il est un croyant pour qui la religion s’arrête aux ordres du marabout qu’il vénère plus que toute autre chose.
Le véritable Baye-Fall s’oppose radicalement au vagabondage et mène une vie austère qui le détache de tous les interdits. Au delà des clichés le faisant apparaître comme un troubadour ou un délinquant en mal de refuge social, le disciple de Cheikh Ibra Fall se veut le prolongement de celui qui fut l’exemple même du « talibé » et symbolise le mouridisme sous ses facettes économique, culturel, et sociale.
Le Baye-Fall applique à la lettre les principes de soumission au marabout : « je me soumets à vous dans ce monde et dans l’au-delà. Je ferai tout ce que vous me dicterez et laisserai tout ce que vous m’interdirez... »tel est le credo du Baye-Fall. Au fil des ans, le comportement de ce talibé hors pair sera marqué par le travail*, l’abnégation totale face aux biens de ce monde et le respect scrupuleux des ordres du cheikh. Le travail, parce qu’il permet le dépassement de soi dans l’effort, est le premier pilier du « baye-fallisme ». Ainsi, aujourd’hui comme hier, les vrais Baye-Fall continuent de défricher chaque année des centaines d’hectares, abattant en une journée des superficies importantes. La production milicole et arachidiere a connu de la sorte, des performances légendaires grâce à ces soldats champêtres au zèle inégalé.
Le véritable Baye-Fall reprouve la violence. A l’instar du précurseur du mouridisme, cet homme discipliné ne veut rien obtenir par la violence bannie par les règles de vie de la communauté.
Sur le plan culturel, l’originalité du Baye-Fall a dépassé les frontières du senegal et fait école un peu partout dans le monde. Sa chevelure hirsute aurait inspiré les rastas,. Le petit bâton dissuasif qu’il porte est utilisé depuis l’époque où le port d’arme blanche était prohibé. Quant à la ceinture, elle permet de se caler l’estomac pour mieux résister à une longue journée de travail, ou une nuit interminable de litanies…Parmi les autres objets qui donnent à ce « chevalier de la foi » son aspect authentique, le bonnet et le talisman sont bien les plus remarqués. L’un est souvent noir avec une pouffe au bout de son long pendant, et l’autre se distingue par le travail artistique raffiné des cordonniers et se ballote au bas ventre symbolisant toute la fierté du talibé.
En outre, ces hommes sont tous farouchement retranchés dans le cadre culturel découpé par le mouridisme. La langue wolof qu’il parle en général ne souffre de la moindre intrusion de langues étrangères. D’ailleurs le Baye-Fall cultive une nette démarcation vis-à-vis des cultures occidentale et arabe. Durant les moments de grande ferveur religieuse, il arrive qu’un des talibés à la sensibilité élevée tombe en extase. Lorsque c’est le « choc » véritable des ondes spirituelles, quelle que soit l’intensité de ses efforts, le Baye-Fall cognant durement contre un mur ou un pilier en fer, en sort sans la moindre éraflure. Ce phénomène échappe aux explications rationnelles.
Foncièrement communautaire, la confrérie de Cheikh Ibra Fall entretient jalousement une réputation de solidarité qui fait de chacun de ses membres, le maillon d’une chaîne ininterrompue. La contribution de tous est une règle d’or pour réaliser une œuvre ou pour faire face à un événement social. Ainsi en plus de l’investissement humain qui mobilise le maximum des effectifs disponibles, les « kureel », par petits groupes sillonnent les villages et les villes au son des « xiin » et du Zikroullah, pour collecter les souscriptions. C’est ce qu’ils appellent le «madial». Ici, contrairement aux jours de fête où le boubou d’apparat est de rigueur, la tenue en cette circonstance peut varier du boubou multicolore au simple caftan de séjour. Aucune note excentrique n’intervient cependant pour altérer l’ambiance d’humilité et de foi qui caractérise les expéditions.
Les sommes recueillies ne sont amputées d’aucune charge et viennent en complément aux efforts déjà consentis par le groupe. Elles seront versées ou à la trésorerie ou directement au marabout qui gère la réalisation de l’œuvre.
C’est en dernier ressort autour de ce chef religieux que gravite toute la vie de la communauté. Formé à travers diverses écoles traditionnelles ou « daara », le marabout Baye-Fall est un fin lettré doublé d’un homme d’action peu enclin aux génuflexions quotidiennes qui rythment la prière. Le chapelet toujours à la main, il s’adonne cependant à longueur de journée à des oraisons dont il détient seul les secrets…